Recommandation « Aspects éthiques relatifs à la priorisation des soins en période de COVID-19 » du 21 décembre 2020 du Comité consultatif de Bioéthique à laquelle adhèrent l'Ordre des médecins et le Conseil supérieur de la Santé.
 

En réaction à la situation de crise dans laquelle la pandémie de COVID-19 plonge le secteur des soins de santé, le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique, avec l’adhésion de l'Ordre des médecins et le Conseil supérieur de la Santé, formule des recommandations qui visent à soutenir les prestataires de soins.

Les présentes recommandations ont donc pour but de fournir un éclairage pour les décisions de priorisation établies au sein du secteur des soins de santé par une diversité d'acteurs sur le terrain. Ce cadre éthique est basé sur une réflexion portant sur les principaux défis éthiques, juridiques et organisationnels en réponse à la pandémie de COVID-19.
Ces recommandations se limitent aux considérations éthiques. Le développement de directives médicales concrètes, l'établissement de critères d'évaluation médicaux, de normes de traitement ou de seuils et le développement de bonnes pratiques relèvent en toute hypothèse des groupes professionnels concernés et de leurs associations professionnelles, tout en reconnaissant toujours que le patient est le premier concerné et qu’il participe à la décision finale. Ceci ne fait pas partie du mandat ni de la mission des organes adhérents.
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Les recommandations en quelques points :

  • concernant l’organisation des soins : il faut tâcher de préserver la capacité, afin de pouvoir garantir la continuité des soins essentiels pour tous les patients (par exemple en augmentant la capacité des unités de soins intensifs ou en reportant les soins non urgents). Il convient dans ce cadre de :
    1. préserver l’accessibilité des soins pour tous les patients ;
    2. répartir équitablement les ressources (équipement de protection, médicaments, oxygène, capacité de test) ;
    3. soutenir les établissements qui ne bénéficient pas de l’infrastructure ni de la capacité pour prévenir et traiter efficacement les infections ;
    4. en cas de report de soins non-urgents, cette période doit rester la plus courte possible ;
    5. surveiller la disponibilité, la charge de travail et le bien-être du personnel.
  • concernant le patient : tous les patients ont droit à des soins de qualité et accessibles. Leurs droits restent inchangés. Les décisions de ne pas démarrer ou de réduire progressivement (éventuellement) des traitements sont consignées dans le dossier médical. Dans la situation actuelle, il est particulièrement important de vérifier qu'un projet de soins personnalisé et anticipé a été établi.
  • concernant les prestataires de soins : la prise de décisions au sujet des soins à entamer, poursuivre ou abandonner fait appel à des critères médicaux qui s'appuient eux-mêmes sur de grands principes éthiques tels que l'égalité, la bienfaisance, la non-malfaisance, l'autonomie et le respect de la dignité de la personne. Si une saturation complète des unités de soins intensifs survient, les décisions de sélection et les choix entre des patients seront inévitables. Le Comité, comme plusieurs directives existantes, estime que le nombre de vies sauvées et le gain d'années de vie de qualité (i.e. tirant un réel bénéfice du traitement) constituent des paramètres importants. Il souligne toutefois que, en situation de pénurie, cette perspective utilitariste entre en conflit avec les principes éthiques qui prévalent dans des circonstances normales, comme par exemple la non-discrimination sur la base de l’âge ou l’attention particulière aux plus vulnérables. Ce conflit moral rend douloureux les choix à opérer ; il met aussi en lumière le fait que l’approche utilitariste n’est qu’une option parmi d’autres.
Le Comité recommande la prise en compte des aspects suivants dans la décision :
 
  1. l’exploitation des critères médicaux doit être maximale, afin de pouvoir prendre en compte toute distinction pertinente entre des patients ;
  2. le recours à la notion de « qualité de vie » doit être limité à l’évaluation du bénéfice escompté du traitement, sans impliquer de jugement sur la « valeur » de la vie et de la personne du patient ;
  3. les motifs de discrimination illicites doivent être écartés, de même que les formes implicites de discrimination, comme celles qui reposent sur le statut socio-économique de la personne ;
  4. l’acharnement thérapeutique doit être évité ;
  5. le respect du principe d’égalité commande d’exclure les critères évaluant les mérites ou la responsabilité personnels ;
  6. les limites d’âge, comme facteur totalement déconnecté des critères médicaux, ne devraient jamais être prises en considération ;
  7. une attention appropriée doit être accordée aux vulnérabilités liées à la santé qui, indépendantes d’une infection au SARS-CoV2, donneraient lieu à des soins supplémentaires tout en laissant espérer de bons résultats à long terme ;
  8. les décisions doivent être prises de façon collégiale par l’équipe soignante, transparentes et fondées sur des critères explicites et justifiés.

Les patients et leurs proches doivent être impliqués dans les décisions dans la mesure où les circonstances le permettent.
S'il est décidé de ne pas admettre un patient dans une unité de soins intensifs, des soins de qualité doivent être prévus sous la forme de soins intermédiaires, de soins ordinaires ou de soins palliatifs.

  • les établissements de soins et les soins de première ligne :

Dans les établissements de soins, lorsque le personnel soignant se révèle insuffisant dans certains services, il faut rechercher des solutions flexibles, mais de qualité. En cas de report de soins, des critères clairs doivent être utilisés et les conséquences de ces décisions à court et à long terme doivent être soigneusement examinées.
En dehors des hôpitaux, il est également nécessaire d'établir la stratégie la plus efficace possible en vue de lutter contre cette pandémie. Les cercles de médecins généralistes, en concertation avec les médecins coordinateurs et conseillers des établissements de soins résidentiels, jouent un rôle crucial à cet égard. Une bonne collaboration et une harmonisation avec les hôpitaux locaux sont également essentielles.